La main dans le sac
Violette Leduc

édition établie par Catherine Viollet


“J’allais chercher le sac à main de mademoiselle Godfroy dans la bibliothèque sanctuaire. J’ouvrais la porte d’une fable. J’entrais, j’avançais, je pénétrais, j’avançais encore. Un parfum de cigarette orientale encanaillait l’atmosphère. (…) J’avais la jouissance un instant d’un endroit qui avait été abandonné dans le bavardage, la légèreté, l’étourderie. Des professeurs avaient vécu ici une demi-heure d’insouciance mais cette insouciance était interdite aux élèves. J’observais l’endroit. Observer, c’est fournir du mystère. Je ne cherchais pas le sac à main, je ne bougeais pas. J’étais unie à l’endroit et à sa nouveauté. La fumée de leurs cigarettes subsistait en haut d’un volet. Les volutes languissaient dans la lumière. Une poussée de plaisir dans un vague dessin aérien qui ne peut ni s’épanouir ni se contracter, ni s’évader ni se fixer. Je saisis le sac à main sur une table puis je refermai la porte avec beaucoup de déférence. Je n’ouvris pas tout de suite la chose de mademoiselle Godfroy. La voix des professeurs résonnait dans le couloir. L’attention des élèves qui les écoutaient et que je ne voyais pas était énorme. Une liberté grandissait en moi.”



Pour la première fois, La main dans le sac donne à lire le début du manuscrit de Ravages, resté jusqu'alors inédit.
Il s'agit du souvenir du premier émoi érotique de Thérèse (le prénom d'état civil de Violette Leduc) adolescente : lorsque mademoiselle Godfroy la désigne pour aller chercher son sac à main dans la bibliothèque des professeurs, Thérèse, en glissant sa main dans le sac, en l'explorant sans pouvoir résister à cette attirance, vit une véritable scène initiatique.
Dans une lettre à Simone de Beauvoir, Violette Leduc affirme que cet épisode est l'un des trois événements les plus importants de sa vie. Il disparaît pourtant de Ravages, son roman autobiographique paru en 1955. Quand elle en propose le manuscrit à Gallimard, l'éditeur lui impose en effet la suppression pure et simple de toute la première partie qu'il juge “d'une obscénité énorme et précise”. Violette Leduc ne s'en remettra jamais vraiment, qui écrit des années plus tard : “Ils ont refusé le début de Ravages. C'est un assassinat. […] La censure tranche vos feuillets. C'est une guillotine cachée.”


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C’est très probablement en raison de la censure de la première partie du roman autobiographique intitulé Ravages – relatant la rencontre amoureuse entre les deux collégiennes Thérèse et Isabelle, jugée par le comité de lecture de Gallimard “d’une obscénité énorme et précise” –, qu’a disparu l’incipit sur le vent nocturne et, de manière corollaire, l’épisode de “La main dans le sac”. Impossible de savoir s’il s’agit d’une conséquence directe de la censure (la partie “Thérèse et Isabelle” supprimée, cet épisode n’avait plus sa place, et perdait sa légitimité narrative), ou d’une des manifestations de l’autocensure exercée par Violette Leduc après ce qui fut pour elle un véritable choc : “Le début supprimé, la suite n’aura pas de poids. Thérèse manquera de pesanteur. Il s’appelait Ravages. […] Je ne guérirai pas de notre amputation”, écrira-t-elle, des années plus tard, dans La Chasse à l’amour. Car si, dans le cahier manuscrit le plus tardif, l’incipit du roman sur le vent précède immédiatement l’épisode de “la main dans le sac”, ce dernier introduit à son tour, de manière magistrale, la rencontre érotique et passionnée de la jeune héroïne, Thérèse, avec Isabelle, qui “s’aiment dans un collège pendant trois jours et trois nuits”.
Violette Leduc conçoit en effet Ravages comme un récit initiatique, un roman de formation, une Éducation sentimentale au féminin, montrant l’évolution de Thérèse (son propre prénom d’état civil) de l’adolescence à la maturité, à travers ses diverses relations érotiques et amoureuses – sans qu’elle établisse aucune hiérarchie entre des amours tantôt homo-, tantôt hétérosexuelles : “Je reste déchirée que ces pages n’aient pas paru comme je les avais écrites, au début de Ravages. Dans le roman, on voyait Thérèse devenir une adulte, avec son passé d’adolescente qui pesait sur ses épaules et qui lui donnait du poids”, affirme-t-elle dans un entretien radiophonique, lors de l’édition en 1966 de Thérèse et Isabelle.
C’est en 1948, à la suggestion de Simone de Beauvoir – après avoir publié un recueil de fragments autobiographiques, L’Asphyxie (Gallimard, 1946, dans la collection “Espoir” dirigée par Albert Camus), puis L’Affamée, discours d’amour incandescent adressé à Simone de Beauvoir –, que Violette Leduc entreprend la rédaction du récit qui deviendra Ravages. Rien d’étonnant donc, à ce que les cahiers manuscrits de Ravages lui soient dédiés l’un après l’autre ; Beauvoir en est non seulement la destinataire, mais aussi la première lectrice, et y insère de son écriture “script” quelques corrections stylistiques. Car c’est un défi littéraire exigeant que s’est fixé, en véritable pionnière, Violette Leduc. Elle veut s’employer à décrire “le plus exactement possible, le plus minutieusement possible” les sensations fugitives qu’éprouve une femme dans l’amour physique. Capter les gestes, les émotions en jeu dans l’exercice de la sexualité : aussi difficile que de “transporter la brise dans un panier”.

(Extrait de la postface de Catherine Viollet)



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Parution : juin 2014
ISBN : 978-2-916130-64-4
collection Micheline
Prix : 13 euros TTC
80 pages
Ouvrage publié avec le soutien du Conseil régional de Bourgogne
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L'auteur : Violette Leduc

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